La forêt québécoise mérite mieux que l’indifférence
Par Patrick Pineault, ing.f. Président de l’Ordre des ingénieurs forestiers du Québec
Le secteur forestier du Québec traverse une période d’une rare intensité. Sur tout le territoire, les signes d’essoufflement s’accumulent: fermetures d’usines, pertes d’emplois, ralentissement des investissements, taxe sur les exportations et incertitude économique qui fragilisent des régions déjà éprouvées.
Les répercussions se font sentir bien au-delà du cadre industriel : elles touchent l’ensemble de la chaîne forestière, de la récolte à la mise en marché du bois, en passant par les entreprises d’aménagement forestier qui assurent la planification et l’entretien durable de nos forêts. Cette fragilité atteint aussi celles et ceux qui, au sein de l’appareil public, portent la responsabilité d’appliquer la politique forestière et d’en garantir la pérennité.
Au bout du compte, ce sont des familles, des entrepreneurs, des travailleurs, des professionnels et des communautés entières qui voient leur équilibre menacé et, avec eux, l’avenir même de notre ressource collective.
Comme président de l’Ordre des ingénieurs forestiers du Québec, je constate avec préoccupation qu’une forme de désintérêt collectif s’installe face à un secteur pourtant névralgique pour notre avenir. Notre forêt n’est pas qu’une ressource économique : elle est une alliée dans la lutte contre les changements climatiques, un levier de vitalité régionale, un réservoir de biodiversité et un pilier culturel de notre identité québécoise. Elle relie économie, environnement et culture, et représente l’un des atouts les plus structurants du Québec pour un avenir carboneutre.
Aujourd’hui, notre secteur vit une crise majeure et il serait irresponsable de la réduire à un simple enjeu conjoncturel. C’est toute la relation entre la société québécoise et sa forêt qui est mise à l’épreuve. Le récent retrait du projet de réforme forestière en dit long sur notre rapport collectif à la forêt: il n’aura pas suscité le dialogue qu’il méritait, ni l’élan qu’une ressource aussi essentielle devrait inspirer.
Conscient de cette responsabilité, l’Ordre des ingénieurs forestiers du Québec a contribué à la création du Groupe des partenaires du milieu forestier, un collectif intersectoriel qui, depuis 2023, œuvre à faire émerger des consensus sur ce que devrait être la foresterie de demain. Autour de cette table se réunissent des représentants du monde municipal, industriel, scientifique, communautaire et environnemental: tous convaincus que le temps est venu de réconcilier nos approches et de repenser la gouvernance du territoire forestier dans une perspective durable et inclusive.
J’estime que nous devons, comme société, nous mobiliser autour de notre forêt, non pas pour défendre des intérêts particuliers, mais pour protéger un bien commun pour les générations futures. Agir en bon père de famille, c’est rappeler que le patrimoine forestier du Québec exige vision, rigueur et solidarité.
J’ai eu l’occasion de rencontrer M. Jean-François Simard, notre nouveau ministre des Ressources naturelles et des Forêts. Le défi est immense, mais son profil de sociologue lui confère une sensibilité particulière aux dynamiques humaines et territoriales. Ce sera une force s’il choisit d’en faire le levier d’un véritable dialogue autour de la foresterie québécoise. Mais, à court terme, il faut stabiliser le secteur, soutenir ceux et celles qui le font vivre, et éviter de perdre des compétences et des savoir-faire essentiels. Toutefois, au-delà de l’urgence, il faut repenser notre modèle: comment voulons-nous que notre forêt contribue à la santé des humains, à la prospérité des régions, à la résilience de nos écosystèmes et à la lutte climatique ?
La forêt québécoise mérite mieux que le silence ou l’attentisme. Elle mérite que nous nous rassemblions, élus, citoyens, scientifiques, professionnels, travailleurs, industriels et communautés autochtones, pour rebâtir ensemble une vision d’avenir fondée sur la durabilité, la responsabilité et la confiance.
La forêt québécoise mérite mieux que l’indifférence.